Extraits, le quatrième état de la matière, de Loránd Gáspár





Ici il fait si tard.


Nous irons par l'autre bout des choses


Explorer la face claire de la nuit.





Je connais des matins devenus fous d'étendue


de désert et de mer.



...

Et comment vais-je lire

Dans ce cliquetis fou

Lorsque tu inventeras de mourir ?



Monde grave


où plus rien n'est insulté, ni laid


le jour marche sur les plafonds


dans ses entrailles cuivrées





Lumière de loin.

Je voudrais pouvoir t'insuffler la fraîcheur
capillaire par capillaire

Je voudrais que tu sentes le glissement de
l'air et le resserrement des papilles

Je voudrais te faire des mots verts au matin
des mots

Que tu eusses envie de toucher, de broyer,
jusqu'à en avoir les doigts usés


Je voudrais t'écrire avec mes ongles dans
l'âge paresseux de la pierre et peut-être

dans les yeux

Te convaincre de la terre






Que faire d'une lumière


qui ne peut rien être que lumière ?






Personne ne sait 
 
Le destin des couleurs en l'absence des yeux.




Peu à peu toute joie devient nue 

On avance dans l'arbre complexe du voir. 

Ce soir obsédant, démesuré, 

Dans le ventre, les mains, la poitrine, 

Peu à peu on apprend à écouter 

Quelque part la chute du jasmin



Notre présence se fait lentement de loin

Ordre privilégié de l'espace

Ici, enfin, en pays inutile

Le vent fait de grands gestes heureux.






Je voudrais apprendre à doucement défaire mes lèvres


et ne pas m'arrêter de rire.


Apprendre à m'assouplir


dans des gestes de plus en plus nus et entrouverts


le cœur tout entier impudique dans la gorge


à force d'inventer le désert.




Il faut un long sommeil pluvieux,
 
puis tel un levain dans l'accord des bruns,
 
une tribu du désert dans l'acier de l'aube

qui repart dévaster l'horizon.



Âme fleuve



J'aimerais être un crocodile

Vivant dans le fleuve São Francisco

J'aimerais être un crocodile

Parce que j'aime les grandes rivières

Parce qu'elles sont profondes comme les âmes des hommes

Parce que leurs surfaces sont très vivaces et claires

Mais leurs profondeurs sont tranquilles et sombres

Texte extrait du documentaire Cinco vezes chico, Brésil, 2015.



Butte


Course effrénée vers l'impossible

Vaine

Des champs de possible

En pâture

Des lilas reniflent

Du gazole

Sur les bas-côtés du périphérique



Les morts les vivants

A deux pas de Ménilmontant
Cimetière du père Lachaise
Que vient-on au juste chercher
dans ce sinueux parcours
de tombes alignées ?

Les tombes des femmes et hommes célèbres ?

Méditation sur la trace qu'on laisse, sur ce qu'on lègue

Miroir d'une forme d’idolâtrie, idolâtrie des célèbres, attrait de ce qui brille

L'immortalité
Le dérisoire de la mort
Par là même de la vie

En ce lieu
Absence de vie,
Celle qui pourtant ici a laissé sa trace dans l'histoire commune

Évidence,
L'intérêt d'être là avec les vivants qui font le monde et l'histoire commune au présent
La vie a plus d'intérêt que les tombeaux du souvenir !
Aussi majestueux qu'il soit, ce souvenir

Qu'est-ce qu'un destin humaniste ?
Qu'est-ce qu'un destin remarquable ?

Trace des grands hommes, leaders de mon imaginaire, symboles de mes propres quêtes
Tantôt ils nous guident,
par ce qu'ils incarnent des facettes de l'expérience humaine,
par ce qu'ils mettent en lumière certaines de nos aspirations profondes

Miroir du fantasme
Celui selon lequel la vie doit s'accomplir selon un grand destin

L'ordinaire,
L'homme dont la vie semble quelconque

Déambulation philosophique
Qu'est-ce qui enrichit l'expérience commune de la vie ?
Entres autres déambulations aux multiples regards
L'un savoure la promenade dans l'un des plus grands parcs de Paris,
L'autre considère ce musée en plein air,
Ou s'accroche à un détail particulier
Il regarde les vitraux

L'autre encore revisite l'histoire et la culture à travers les hommes de science, les poètes, les politiques, les musiciens... Il peut, dit-il, ici, dans ce seul et même lieu, unifier une vision de l'histoire qu'il s'est forgé tout au long de sa vie
Et celui-là, inconnu qui au détour d'une courte discussion m'a extrait à la philosophie,
semblait connaître aussi l'histoire de ce vaste cimetière,
Elle m'est restée inconnue à ce jour. 


 

Savanturiers modernes


Suite à la visite de l'expo les « Savanturiers » au Museum d'histoire naturelle de Toulouse (octobre 2015-juin 2016)

Obscurité. Il y a si peu de temps que l'on a découvert et étudié l'homme préhistorique sans « préjuger » de sa condition d'homme rustre. C'est si récent, cela fait à peine 200 ans, alors bon, on doit y comprendre quedale. Tout comme on commence à peine à connaître l'immense variété des espèces vivantes, à faire les liens entre les découvertes dans les différents champs scientifiques.

C'est une véritable surprise de s'en rendre compte… Et oui, miladiou ! Dans le quotidien, avec toute la modernité dont on dispose, et l'accès à la connaissance qui nous est dispensé dès nos premières années à l'école, on peut parfois avoir l'impression de tout savoir, d'avoir un peu tout identifié.
Quelle somme de connaissances partagées on a maintenant ! Nous, hommes, sommes sans aucun doute d'insatiables collectionneurs de données. A-ton seulement réussi à en interpréter quelques bribes ? Les informations, les données, on en a PLEIN. On pourrait presque dire qu'on en est submergés. Mais qu'en est-il de notre capacité d'imagination, de décryptage des réalités ?

Voilà donc une perspective stimulante pour les Savanturiers modernes : retrousser leurs manches, et tout outillés de panoplies modernes, connectés et interconnectés, partir à la recherche d'hypothèses en dehors de ce qui existe, pour expliquer le monde. Sans se perdre dans le dédale de la connaissance… Avis, ô Savanturier !